Qui dessine ces jolies arabesques ? Ce serait les traces d’un humain, on penserait tout de suite à un retour de soirée trop arrosé… Mais il s’agit d’un pingouin torda en mer ! De retour d’hivernage le long des côtes normandes, il porte sa balise GPS depuis 88 jours puisqu’il en a été équipé le 1er mars au large de Ouistreham. Il approche d’ailleurs le record de longévité d’une balise MIGRATLANE scotchée sur un oiseau plongeur (record détenu par un plongeon arctique, 124 jours).
Grâce à ça on peut voir que cet individu ne semble pas près de vouloir nicher, alors que la plupart des autres alcidés ont rejoint les colonies depuis longtemps et couvent leur œufs. C’est normal, c’est un jeune de l’année dernière, en bon ado, il erre. Vadrouiller dans la mer du Nord est sûrement très formateur pour un jeune pingouin.
Mais alors que fait-on au printemps quand on est un pingouin immature ? Visiblement on fait des ronds dans l’eau… Et que voit-on quand on fait des ronds dans l’eau en mer du Nord ? Nous avons mené l’enquête pour nous mettre dans la peau d’un pingouin et appréhender le paysage dans lequel il barbote.
Pour commencer et dans le thème du programme MIGRATLANE, pourquoi ne pas regarder s’il croise des éoliennes sur son passage ? La mer du Nord est en effet le hot spot de l’éolien en mer depuis plus de 10 ans et accueille désormais des milliers d’éoliennes, sans compter les milliers supplémentaires prévus à l’horizon 10 ou 20 ans.

Naviguer en Mer du Nord, hotspot de l′éolien en mer.
Ce pingouin sur son trajet biscornu a croisé 1 parc éolien en construction (Courseulles-sur-Mer, près de là où il a été capturé) et 1 parc en opération au large de l’Angleterre, qu’il n’a pas traversé.
Mais dans la mer du Nord, il n’y a pas que des éoliennes. Il y a aussi un trafic maritime intense avec des ports industriels et de commerce parmi les plus grands du monde (Anvers, Rotterdam, Hambourg…). On remarquera qu’il a tendance à éviter de faire des ronds quand il traverse la route.

Quelques autoroutes à traverser.
Mais surtout, si ce n’était pas assez, dans la mer du Nord il y a des plateformes offshores. La zone entre le sud de l’Angleterre et les Pays-Bas est un immense champ de gaz ! Il y aurait actuellement environ 450 plateformes offshores gazières et/ou pétrolières en activité rien qu’en Mer du Nord, principalement britanniques et norvégiennes.
Et si l’on regarde de plus près la trajectoire GPS de notre pingouin sur Google Earth, alors que voit-on autour du lui ?

Merci aux internautes techniciens et ingénieurs gaziers pour leur aide dans l′enquête !
On peut émettre l’hypothèse que ce pingouin s’intéresserait aux complexes de plateformes offshores pour s’alimenter. En effet l’ajout d’infrastructures exogènes en mer créé un effet d’attraction pour la biodiversité alentour que l’on appelle « l’effet récif ». Les microorganismes se fixent sur les structures, suivis d’organismes plus gros qui attirent à leur tour des poissons. Et à la fin qui est attiré par les poissons ? Les oiseaux marins. Les goélands sont un bon exemple d’oiseaux qui viennent pêcher et socialiser autour des éoliennes en mer et des plateformes offshores. Et les pingouins ?
On pousse l’enquête en récupérant les positions des plateformes en Mer du Nord et on obtient la carte suivante. En superposant la trajectoire de l’oiseau et les puits de gaz/pétrole autour des quels s’installent les unités offshores, notre hypothèse ne parait pas spécialement tenir la route, voire même peut-être l’inverse. Mais au moins on a précisé encore le paysage maritime dans lequel navigue ce pingouin.

Y′a du gaz dans l′eau !
S’il est bien sûr impossible de tirer des conclusions à partir d’un seul individu, cela donne des pistes intéressantes pour l’analyse des données d’alcidés et de plongeons en mer du Nord. De manière générale ces espèces sont considérées comme fortement repoussées par les plateformes offshores et le trafic maritime (ref étude 1) tout comme par la présence d’éoliennes en mer (ref étude 2, ref étude 3). Cette répulsion peut entrainer pour ces espèces des problèmes de fractionnement ou de perte d’habitat.