La sterne caugek « Orange-135 », ci-après nommée O-135, d’après la bague gravée qu’elle porte à la patte droite, a été capturée sur son nid et baguée le 23 mai 2025 sur l’îlot breton de la Colombière, au large de Saint-Jacut-de-la-mer (22). Cette sterne, ainsi qu’une dizaine d’autres, a été équipée d’un GPS permettant de la suivre à la trace. Suite à cette manipulation réalisée par des bagueurs et bagueuses professionnel.le.s* elle est retournée couver ses 2 œufs.

Quelques jours après cette intervention, la colonie a été dérangée et pillée par un ou plusieurs prédateurs (parmi les coupables possibles : corneilles, goélands, faucons pèlerins) provoquant l’abandon de la quasi-totalité des nids de sternes caugek dont celui de O-135.
Grâce à la trace GPS envoyée en quasi-direct par la balise de O-135, nous l’avons vu se diriger vers la Belgique. Et en effet, deux semaines plus tard, elle était revue sur la colonie de sternes du port de Zeebruges en Belgique, entrain de couver pour la deuxième fois.
Il est courant pour les sternes de retenter une deuxième nichée si la première a échoué durant l’incubation, et la plupart du temps, elles choisissent un nouveau site pour s’installer. Pour cette deuxième couvée elles ne pondent qu’un seul œuf, minimisant ainsi la demande énergétique pour mener à bien l’élevage du poussin dans une période potentiellement sous-optimale. Ainsi les colonies de sternes sont non seulement dynamiques d’une année sur l’autre (les individus ne reviennent pas systématiquement sur la même colonie) mais aussi durant la même saison de reproduction. Elles peuvent se relocaliser sur de grandes distances, comme ici, entre la Bretagne et la Belgique.
Cependant, O-135 a choisi une colonie très particulière. En effet, le port de Zeebruges abrite aussi une colonie d’éoliennes dites semi-offshore car construites en partie sur une grande digue à la mer. Le site de nidification des sternes est une péninsule artificielle créé en 2004 dans le cadre des compensations environnementales liées au développement de l’éolien sur ce secteur qui a provoqué une destruction d’habitat. Ce site de nidification pour sternes et laridés a été créé presque directement sous les éoliennes.
Ainsi les sternes ont bien gagné un endroit où nicher (plus de 7 000 sternes caugek et pierregarins y étaient installées en 2013), mais elles ont aussi gagné une épée de Damoclès au-dessus de leur tête puisque plusieurs dizaines d’individus meurent chaque année de collision avec les turbines (27 à 34 victimes par an d’après Everaert & Stienen (2007)** ; en 2005, les auteurs recensaient 161 collisions mortelles toutes espèces de sternes confondues). Les chercheurs qui ont observé « notre » sterne O-135 à plusieurs reprises sur la colonie belge suivent cette population depuis plus de 20 ans et étudient l’impact des éoliennes sur les oiseaux marins (Everaert & Stienen 2007, Vanermen et al. 2013, Stienen et al. 2024**). Les conclusions de leur étude insistent notamment sur un point : un site de nidification artificiel ne devrait pas être construit près d’un parc éolien faute de le voir se transformer en piège écologique (Vanermen et al. 2013**). De manière générale, le meilleur moyen de mitiger les impacts de l’éolien, sont d’anticiper et d’éviter de les construire sur les zones à enjeux pour la biodiversité comme les sites de reproduction des animaux.

En ce qui concerne O-135, aucune collision à signaler. Il semblerait même qu’elle ait mené à terme cette deuxième tentative de reproduction puisqu’elle est restée 55 jours sur place, soit tout juste le temps d’accompagner un jeune jusqu’à l’envol après environ 25 jours de reproduction et 30 jours de nourrissage. Les chercheurs locaux nous ont indiqué que le taux d’éclosion des œufs sur la partie étudiée de la colonie a été de 91% et le succès reproducteur plutôt bon également avec 0.7 jeune à l’envol par couple.
O-135 a quitté le port de Zeebruges le 22 juillet et reprit ses pérégrinations jusqu’au Danemark puis retour en France, probablement accompagné de son jeune qui peut la suivre pendant encore des semaines en réclamant toujours des poissons pour compenser son médiocre succès d’apprenti pêcheur.
Grâce à sa bague bien visible, O-135 a été revue 3 fois depuis, à Concarneau (29), sur le grand reposoir de sternes de Saint-Pair-Sur-Mer (50) et en Baie du Mont-Saint-Michel (50). Un grand merci aux observateur-rice-s à l’œil aiguisé qui nous transmettent leurs observations !

La balise ne transmet plus depuis quelques jours, signifiant probablement qu’O-135 est partie en migration vers l’Afrique de l’ouest et se trouve hors réseau GSM. En espérant que nous aurons des nouvelles d’elle l’an prochain !
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